Au sein d’AXA France depuis 2008, et Directrice Innovations et Services Santé & Prévoyance depuis plus de six ans, Corinne Guillemin livre sa vision de la prévention santé à l’aune du digital. Check-up accessible au grand public, prévention cancer et médecine préventive : tour d’horizon des sujets qui l’animent.
INNOVATION ASSURANCE : Que représente AXA aujourd’hui, en France et à l’international ?
Corinne Guillemin : Nous sommes un groupe d’assurance dont la raison d’être est de protéger les biens, les personnes et les actifs financiers de ses assurés. Nous exerçons dans plus de 50 pays dans le monde, recensons environ 100 millions de clients et mobilisons plus de 140.000 collaborateurs.
AXA France enregistre environ 25 milliards d’euros de chiffres d’affaires, 7 millions de clients et un peu plus de 30.000 collaborateurs.
Comment le digital a-t-il fait évoluer le monde de la prévention santé ?
Le métier d’assureur consiste en premier lieu à protéger, c’est-à-dire anticiper les risques et malheureusement, quand le risque est avéré, accompagner les clients pour que cette situation soit la moins compliquée possible. Dans le domaine de la santé, qui est la branche qui me concerne directement, les Français ne sont pas particulièrement adeptes de la prévention – contrairement à d’autres pays européens. Il suffit de regarder la visite annuelle chez le dentiste : très peu de Français s’y rendent, alors que la plupart d’entre eux consulte lorsqu’ils ressentent des douleurs et que potentiellement, les méthodes employées seront plus invasives.
Il faut donc, avant tout, susciter l’intérêt dans un monde de notifications à outrance et partir à la conquête de nouveaux territoires où les Français sont plus disponibles et à l’écoute des messages de prévention. Je pense que le premier territoire clé pour la prévention en santé est celui de l’entreprise. Si l’on ne considère que le salariat, cela représente environ 20 millions de personnes, soit un tiers de la population française.
Quelle est la part de l’innovation dans cette démarche ?
Le simple fait de savoir que le sujet de la prévention n’est pas forcément attendu par les utilisateurs vous force à innover. Si vous voulez avoir de l’impact, vous ne pouvez rien proposer de standard. L’innovation doit rester quelque chose d’extrêmement simple et répondre à un besoin. Ce sont les deux conditions sine qua non, pour moi, pour que l’innovation rejoigne son public. Et les outils digitaux sont des facilitateurs.
Par exemple, il y a deux ans, nous avons lancé une nouvelle offre en matière de prévention sur le front du bilan de santé. Un certain nombre de Français ont déjà entendu parler du check-up, mais cela concerne souvent des « executives » et conserve un côté exclusif. Nous avons donc souhaité démocratiser le check-up qui ne doit plus être sélectif mais accessible à tous. Nous nous sommes aussi confrontés au problème du coût lié à la démocratisation de ce service.
Pour l’appliquer à l’ensemble des salariés d’une entreprise, à des tarifs plus accessibles, nous nous sommes servis du digital sur deux fronts. Tout d’abord, un questionnaire qui repose sur des algorithmes en entonnoir pour cibler les domaines de risques puis une téléconsultation avec un médecin qui va approfondir le dossier.
Puis, la technique médicale est améliorée par le digital car le médecin bénéficiera d’éléments d’analyse, dont une liste de plus de 40 marqueurs sanguins, permettant de détecter un grand nombre de pathologies. Si des doutes émergent, le médecin peut prescrire des examens complémentaires. Ce check-up est de grande valeur médicale.
La prévention est-elle aussi un sujet en interne ?
Notre directeur général est très attentif d’une part à ce segment d’activité, de l’autre à la protection de tous les collaborateurs. Il y a deux ans, il a annoncé que tous les collaborateurs d’AXA dans le monde auraient un check-up tous les quatre ans.
Ce qui est intéressant, c’est qu’à la conception de cette offre, certains avaient de nombreuses craintes au niveau de la direction. Ils redoutaient que les gens aient le sentiment que cela relève du privé, que d’autres ne veulent pas savoir et ne veulent pas non plus que leur employeur soit au courant… Il faut donc souligner que ces données sont totalement protégées. Au départ, nous estimions qu’environ 30 % des collaborateurs opteraient pour ce check-up. Et nous nous sommes totalement trompés : dans l’heure qui a suivi la mise en ligne de cette offre, tous les créneaux proposés pour une année ont été pris.
Au-delà du check-up, avez-vous travaillé sur d’autres offres ?
Pour être le plus inclusif possible, car toutes les entreprises ne pourront pas forcément offrir un check-up, nous avons décidé cette année d’avoir une approche par pathologie. Dans le but d’avoir une communication impactante, nous avons décidé de démarrer par la pathologie qui ressort sur toutes les lèvres quand vous demandez aux personnes ce qu’elles redoutent le plus : le cancer.
Car même si une personne n’est pas directement touchée, il est certain que dans son premier, deuxième ou troisième cercle, quelqu’un l’est. Nous allons donc communiquer autour de quelques chiffres saisissants : 40 % des cancers pourraient être évités si les Français adoptaient les bons modes de vie ; 40 % des Français atteints d’un cancer sont encore actifs ; 40 % des Français seulement réalisent des tests de dépistage des trois cancers les plus fréquents : sein, utérus et prostate. Ces chiffres interpellants seront utilisés dans l’offre « Prévention Cancer », que nous allons lancer l’année prochaine.
Elle reposera sur des supports que nous utilisons déjà : questionnaires en entonnoir, consultations avec un médecin spécialisé en prévention qui va émettre des recommandations pour des tests de dépistage en fonction de l’âge de la personne. J’en parlerai davantage lors de mon intervention à Innovation Assurance le 8 février 2024.
Je milite donc depuis plusieurs années pour que le système de santé français, à l’heure actuelle au plus mal et qui fait de la médecine curative, passe à l’ère de la médecine préventive. Un jour, nous arriverons même au stade de la médecine prédictive. Grâce à de la technologie couplée à votre patrimoine génétique, cette médecine arrivera à identifier par avance le type de pathologie que vous pourriez développer. De nombreuses recherches sont en cours, qui prennent notamment en compte les questions d’éthique.
Corinne Guillemin interviendra sur le thème « Prévention, assistance : innover pour réduire les risques et valoriser de nouveaux services » lors de l’événement Innovation Assurance le 8 février 2024 à Paris.